La Technique des 4 carrés

CHHYPNOSE, Novembre, Vol.XXII, No 2/2012

La technique des 4 carrés est au carrefour de l’hypnose, de l’EMDR et du dessin. Elle débute sur une situation ciblée en prenant en considération les affects et  les réactions corporelles évoquées. Puis elle évalue l’ntensité de cette difficulté. Pour que le travail se fasse en sécurité et puisse créer un changement positif de remplacement, elle cherche et réactive dans les ressources existantes. Elle utilise, comme moteur de changement, une stimulation bilatérale répétée. Cela est accompagné de suggestions directes et indirectes positives de changement. La fragmentation du travail, dont le déroulement est sous le contrôle du patient, permet une évolution pas à pas et offre un maximum de sécutité. Il en résulte le remplacement d’un comportement pathologique par un comportement mieux adapté à la vie. C’est ainsi qu’est acquise une nouvelle ressource durable.

 

Cette technique est applicable aux adultes, aux enfants et est compatible avec un grand nombre d’approches psychothérapeutiques et psychosomatiques. Elle est bénéfique notamment aux patients atteints d’ESPT.

 

Elle voit son origine au Mexique en 1997, suite à l’ouragan Pauline, en traitant un grand nombre d’enfant traumatisés,  utilisant en groupe le dessin suivi de la technique du « baiser du papillon »(stimulation bilatérale). Elle sera reprise par D.Lansch dans sa thérapie « Fier Felder » pour les traitements individuels. Depuis 2009 elle est adaptée, largement utilisée et enseignée, à l’hypnothérapie par Dr M. Schekter et M. Oswald.

 

Les points forts de cette méthode, qui peut prendre plusieurs séances jusqu’à la guérison de la difficulté, sont les suivants :

elle fractionne l’expérience difficile du patient qui n’est plus autant envahi par son vécu douloureux. Ainsi elle évite le passage directe dans dans une dissociation totale protectrice d’anesthésie, de trop fortes sensations corporelles et émotions.

Les retours dans la réalité, pendant la séance, permettent au patient de réaliser ses capacités de gestion et d’amélioration. Secondairement ils évitent au thérapeute de devenir la personne qui torture le patient en lui demandant de rester uniquement focalisé sur la souffrance pendant un long moment.

Elle offre un certain «confort» thérapeutique de part et d’autre pendant le travail.

La technique réalise la prise de distance nécessaire face au problème pour permettre une évolution positive.

La réactualisation des sensations corporelles et émotionnelles grâce à la mémoire associative relie aux origines passées de la situation difficile comme un pont. La méthode favorise ainsi une régression en âge.

Nous recommandons que cet outil thérapeutique soit utilisé par des praticiens expérimentés et entrainés dans son application car il peut tout de même réveiller de fortes réactions émotionnelles chez le patient.

La technique étape par étape

Présentation de la patiente  « C »

 Pour commencer, la situation est clairement ciblée et définie. Dans le cas choisi, C est une femme célibataire de 35 ans qui souffre et se plaint d’un sentiment d’abandon et de rejet à répétition dans certaines situations de sa vie. On lui propose de se souvenir d’une des situations vécues comme un abandon important pour elle (situation cible). Tandis qu’elle l’imagine, on lui demande de nous décrire les perturbations corporelles qu’elle vit encore ici et maintenant pendant notre consultation, puis les émotions qui s’y rattachent et, éventuellement, une cognition négative qui l’accompagne. Puis on évalue le degré de perturbation que toutes ces manifestations (sensations, émotions) créent encore chez elle pendant la consultation. On utilise une échelle entre 0 et 10 appelée SUD (Subjective Units of Disturbance; 0 : il n’y a pas de perturbation et 10 : c’est le maximum de perturbation générale possible qu’elle puisse vivre). Pour notre patiente le SUD est à 6 au départ.

 C dessine en rouge un cœur brisé sur une feuille A4 pliée en quatre dans le carré supérieur droit. Ce cœur représente pour elle un sentiment douloureux, défini en termes de sensations corporelles qu’elle décrit comme « une boule pesante, brûlante et acide, localisée dans le ventre ». Emotionnellement, elle se sent « triste, mais aussi en colère ». On lui demande alors une cognition négative qui accompagne son sentiment négatif à son sujet ; elle répond : « Je ne m’aime pas, parce que je ne suis pas intéressante et je ne suis pas capable ».

 

  

 On lui demande de définir une ressource en elle qui peut l’aider dans cette situation et de faire un dessin qui représente un moment dans sa vie où elle a senti cette ressource.

 

C dessine dans le carré supérieur gauche la nature qui lui inspire  « la simplicité » , les animaux qui lui apportent du « réconfort » et reconnaît ressentir « le calme ici et maintenant ». Le calme ainsi ressenti est la ressource propre de cette patiente qui est à renforcer. (Nous précisons que la patiente dessine en couleur : soleil en jaune, fleurs à tige verte et corolle rouge, papillon rouge).

                                   

 

On propose à C de focaliser son attention sur l’image de la ressource (calme) et le thérapeute stimule C par des mouvements bilatéraux . Les ancrages sont bien connus en hypnose et ici les mouvements représentent le moteur de la transe accompagnés des suggestions positives de changement.

 La stimulation est accomplie soit en demandant au patient de suivre avec le regard les doigts du thérapeute en mouvements bilatéraux (mouvements occulaires lents), soit par des tapotements légers et lents du thérapeute sur le dos des mains du patient.

 Les changements positifs observés sur le patient, par exemple respiration plus lente et plus ample, permettent au thérapeute de réaliser que la ressource est assimilée. Après la vérification que cela est bien acquis, on profite de cette réussite pour proposer au patient de s’auto stimuler lentement en se focalisant de nouveau sur l’image ressource (utilisant ainsi la technique du papillon : auto stimulation bilatérale alternative par le patient lui-même sur ses épaules en croisant ses bras devant le torse). Ainsi le patient a assimilé la ressource en lui et possède un nouvel outil (capacité) en cas de besoin dans l’exercise de la technique ou même plus tard dans d’autres moments perturbants de la vie quotidienne.

Cette façon de faire permet déjà une diminution du niveau de la perturbation.

(Comme dans d’autres techniques, nous pouvons rappeler la recherche de ressources en régression en âge positive, avant d’aborder la perturbation par la regression en âge negative.)

 

La désensibilisation proprement dite peut commencer. Elle est bien connue en hypnose, par exemple pour les phobies avec la méthode de désensibilisation en focaliant le patient sur ses mains à tour de rôle, (une main problème,une main ressource) mais aussi avec la méthode plus complexe de la régression en âge.

 Dans « les quatre carrés », le thérapeute demande au patient de focaliser son attention sur son dessin de la cible. Pour immerger le patient de nouveau dans ce qu’il a ressenti en établissant la cible, le thérapeute lui restitue à haute voix « hypnotique » les diverses descriptions exactes des perturbations qu’il a décrites précédemment : les sensations corporelles, les émotions et éventuellement la cognition negative. Le thérapeute commence les stimulations rapides occulaires (ou tapotements) accompagnées de suggestions d’un changement dans les perturbations décrites. Le thérapeute suggère que même si au début les perturbations peuvent augmenter à la longue une amélioration va venir. La foi que le thérapeute a dans son traitement et dans les changements à venir est ainsi transmise, mais aussi sa conviction que le patient est capable d’y accéder.

 L’utilisation de mouvements rapides pour la désensibilisation et de mouvements lents pour la reconnaissance des ressources permettent un signaling et un ancrage inconscients entre le thérapeute et le patient assurant la progression dans la technique.

 Dans notre exemple la patiente se concentre sur le cœur dessiné et le therapeute stimule bilatéralement, rapidement, en lui suggérant de laisser « cela » continuer d’évoluer et d’accueillir ce qui vient après, nouvelle image, pensée, sensation ou émotion et dès que quelque chose de nouveau apparaît, de dire « STOP », puis de prendre une profonde respiration pour bien revenir au cabinet, ici et maintenant.

Cette façon de procéder sort le patient de l’état dissocié entre les stimulations. Il lui est demandé ensuite de dessiner dans le prochain carré les changements et de commenter ce qu’il a dessiné.

                          

Notre patiente a vu et ressenti la fin d’une grosse pluie. Elle ajoute qu’après la pluie tout semble comme lavé, les couleurs sont plus intenses (nuages et pluie bleus, arc-en-ciel coloré, soleil jaune).

 

On suggère à C de reprendre « tout ceci » (sous-entendu dernier dessin: fin d’une grosse pluie, les sensations et émotions qu’elle a ressenties…) et de continuer la désensibilisation. On stimule de nouveau rapidement bilatéralement en lui suggérant de laisser « cela » évoluer et d’accueillir à nouveau ce qui vient, de nous le signaler en disant « stop » quand un changement se passe dans l’image , dans le corps ou dans l’émotion.

 Le temps des stimulations est variable. Nous pensons que la vitesse de développement des changements est liée à la capacité de chacun d’accueillir les informations intérieures, mais aussi selon l’importance du trauma et à la capacité de résilience acquise jusque-là par le patient. Cela peut être quasi spontané ou prendre parfois de longues minutes.

Lorsque le patient signale le stop, le thérapeute ratifie d’un « bien » et suggére qu’il prenne une profonde respiration pour revenir hors transe. Il profite d’un moment de répit, et au même temps de l’effet apporté par la fragmentation, phénomène bien connu en hypnose. Les changements annoncés sont dessinés dans le prochain carré libre en bas à droite.

 

 C commente ce dessin comme représentant « la liberté, lorsqu’elle fait du vélo à la campagne ». C’est un premier dessin positif avec des consonances de la ressource (dessiné en vert, couleur qui se trouve également dans le dessin ressource, la campagne, le calme, etc).

 

 Il est important de ne jamais couper le déroulement du processus de changement en se perdant dans les interprétations ou en commentant les dessins, pour ne pas interrompre le processus en cours. Le thérapeute accueille simplement tout ce que le patient apporte.

 Puis on continue de stimuler et de dessiner a fur et à mesure dans les carrés suivants en notant soigneusement les changements jusqu’à ce que l’échelle SUD soit à zéro. Voici la suite des dessins et de l’evolution de la patiente.

 (page 2 des dessins de C)

 

                           

C commente qu’elle arrive avec son vélo vers une grande surface d’eau, le ciel se reflète dedans, c’est très coloré…

 

  Puis une barque vide s’approche

 

  Elle se demande si elle veut monter à bord….

 

 

 Elle monte à bord et vogue le long de la côte…

 

 Les changements dans les dessins temoignent des changements qui se produisent simultanément chez le patient. L’échelle SUD est maintenant à 0,5 . Dans notre experience la désensibilisation n’est pas terminée si l’échelle SUD reste au dessus de zéro.

 

 (page 3 des dessins de la patiente)

                        

 Elle savoure le moment présent…(nous sommes de retour vers la ressource)

 

 « Je nage, je me fais du bien… » (elle se dessine en brun).

 

« Je me pose sur un îlot, entre les roseaux, au soleil » (elle se dessine en vert, couleur de la ressource).

 

Ici, le SUD de la patiente C est finalement à zéro. Cependant, l’exercice thérapeutique n’est pas encore terminé. Il faut vérifier que la nouvelle ressource est réellement acquise.

 

Nous demandons à C de valider sa confiance et sa croyance dans les changements positifs acquis. Nous utilisons l’échelle VOC (Validity  Of  Cognition/validité de la croyance du patient dans la solidité du changement vécu). L’échelle va de 1 : je ne crois pas du tout au changement à 7: j’y crois totalement). La patiente doit arriver à la note de 7 pour que l’acquis soit suffisant et définitif. Dans notre exemple, la patiente a validé le VOC à 7.                              

Il est particulairement important de donner un temps suffisant à la répetition des améliorations. Trop souvent, au debut de l’utilisation, le thérapeute crie victoire trop vite.

 Lorsque le patient a atteint un SUD à zéro suivi d’un VOC à 7, le thérapeute veut encore tester l’évaluation de la patient. Il lui demande de regarder de nouveau le dessin-cible de départ et de vérifier qu’il ne sente plus de perturbations. Le patient et thérapeute réalisent ainsi que l’amelioration est acquise, et que  ce travail est terminé.

 

 

Pendant tout l’exercice, il est important d’accompagner le patient par des suggestions verbales positives de changements et de découvertes. Mais aussi d’observer les changements dans son corps et ses émotions. Ainsi, le thérapeute se trouve lui-même souvent en légère transe pour accompagner le patient dans «une danse» à deux. Pendant tout le processus le thérapeute doit pouvoir respecter tout signal ou demande du patient. Le dialogue ou le signaling sont utilisés à cette fin.

 Si le patient vit des émotions trop élevées, il est possible de retrouver une stabilité en retournant au dessin de la ressource, en prodigant des stimulations lentes (ancrage dèja réalisé). Il est possible d’avoir recours aux autres méthodes de stabilisation que le thérapeute a dans sa trousse, dont la safe place.

 Une séance doit se terminer avec un patient stabilisé et dans un climat intérieur positif et confortable. Le thérapeute lui propose de faire une autostimulation par la méthode du papillon tout en regardant le dessin de la ressource. Pendant cette stimulation on peut ajouter des suggestions posthypnotiques du changement qui peuvent amener à une évolution favorable entre les séances (« Sans que vous ayez besoin de vous en occuper, vous pouvez juste être ouvert à accueillir les changements »). Il est bon de rappeler au patient qu’il peut réutiliser la ressource acquise en tout temps en s’autostimulant.

 Comme le plupart des méthodes, plusieurs séances peuvent être nécessaires pour arriver à une guérison. Donc il y a des « guidelines » specifiques pour interrompre une séance, recommencer la prochaine, introduire une autre approche momentanément, etc.

 

En résumé

La méthode des quatre carrés offre d’avantage de contrôle pour le patient. C’est une démarche qui se fait pas à pas. Elle fractionne l’expérience difficile du patient qui n’est plus autant envahi par son vécu douloureux ou qui pourrait passer directement dans une dissociation totale avec une anesthésie de ses sensations corporelles et ses émotions. Les retours dans la réalité permettent au patient de réaliser ses capacités de gestion et évitent au thérapeute de devenir la personne qui le torture en demandant de rester focalisé sur la souffrance pendant un long moment. Elle offre un certain « confort » thérapeutique de part et d’autre.

 La technique permet une meilleure prise de distance face au problème. L’utilisation des sensations corporelles et émotions crée des liens avec la memoire associative et connecte aux origines passées de la situation difficile (pont des affects). La methode favorise ainsi la régression en âge.

 Le dessin par des stylos feutre de couleur entraîne des sourires et parfois des rires pendant la séance, alors que la personne est en train de travailler quelque chose de difficile, voir de douloureux. Tout en connectant le patient à sa créativité et à l’enfant en lui, il prend conscience de ses capacités. Le changement positif se dessine à fur et à mesure sous ses yeux de manière évidente, devenant un témoignage visible.

 La technique des quatre carrés se combine intelligemment avec les autres techniques hypnotiques : régression en âge, reparenting, pont des affects, suggestions indirectes et suggestions post-hypnotiques.

 Nous recommandons que cet outil thérapeutique soit utilisé par des praticiens expérimentés et entrainés dans son application car même si de prime abord il paraît simple, il peut tout de même réveiller de fortes réactions émotionnelles chez le patient. La connaissance des moyens de stabilisation est nécessaire.

 D’après notre experience et le témoignage de nos patients, les changements amenés par cette technique restent acquis et permettent des améliorations substantielles dans la vie du patient.